TÉMOIGNAGE :

VIVRE AVEC UNE BRONCHITE CHRONIQUE, DE L'EMPHYSEME (BPCO) ET DE L'ASTHME

 

 

 

7 h du matin :

 

Cela fait deux heures que je suis levée, deux heures d'engourdissement, de torpeur, de somnambulisme. La radio égrène toutes les trente minutes des nouvelles, mauvaises comme d'habitude : catastrophes naturelles, chômage, coût de la vie....

Je l'éteins au profit du CD d'un de mes chanteurs de charme préférés. Mais le charme n'opère plus. Je suis anesthésiée, devenue insensible à tout. Cet état morbide me fait peur.

Le miroir me reflète l'image d'un visage que je ne reconnais plus : le regard est éteint, affreusement triste comme si la vie, la vraie, relevait du passé. A quoi bon se lever le matin ? Pour qui ? Pour quoi ?

 

9 h du matin :

 

Je retarde au maximum l'heure de la toilette matinale, l'heure du « calvaire  quotidien », car le « calvaire » va durer plus d'une heure. Assise sur un tabouret avec deux marches rabattables, je l'interromps quatre à cinq fois pour me brancher sur l’aérosol, qui, grâce aux corticoïdes, dilate mes bronches.

 

Une heure plus tard :

 

Les aiguilles tournent, les minutes passent, je n'ai pas encore eu ni la force, ni le courage, de faire quoi que ce soit d'utile et de nécessaire. J'ai honte de moi, honte de ce que je suis devenue.

La maladie est omniprésente, comme une sangsue, elle me pompe toute énergie morale et physique : toux, expectorations, essoufflement au moindre effort, alors qu’à 55 ans je devrais pétiller d'énergie ! J'ai honte, tellement honte !

Le « calvaire » de la toilette est terminé. A présent, il faut s'habiller, se maquiller pour avoir « bonne mine » car il faut toujours paraître au mieux de sa forme. J'en ai assez de jouer à faire semblant. Les larmes me montent aux yeux. Vais-je avoir encore longtemps le courage et la force de jouer un rôle dans lequel les acteurs sont des êtres parfaits ? « Paraître » et non pas « être » tout simplement, car au regard de la société les faiblesses physiques ou morales constituent des tares. Il faut être beau, actif, performant, sinon on vous jette à la poubelle comme un vulgaire kleenex.

Dix minutes sont nécessaires pour m'habiller car le souffle me manque, je vais m'évanouir si je ne m'assieds pas pour enfiler mes vêtements et chausser ces sandalettes spéciales pour pauvres hères atteints d'emphysème. Je considère un instant mes pieds enflés et violacés : quelle galère !

 

Fin de matinée :

 

Il serait grand temps pour moi de me secouer : le ménage quotidien m'attend : «  La poisse ! ». Il me faut un temps fou pour effectuer le minimum de choses que je réalisais autrefois en un tournemain. Mais c’était autrefois… Pourtant, les contes de fée commencent par « Il était une fois »… et se terminent bien. Mais moi, je me dégrade un peu plus de jour en jour !

Mes jambes ne me portent plus, je suis épuisée, à bout de souffle. « Epuisement » et «  A bout de souffle » un vocabulaire qui me taraude d'autant plus que les mauvaises langues se délient. Je les entends d'ici : « Fainéante, fatiguée à ne rien faire… », les qualificatifs ne manquent pas.

Si vous saviez le nombre de personnes encore en activité que me disent « chanceuse de ne plus travailler » depuis plus de huit ans. J'ai envie de hurler, de leur cracher mon venin au visage :  

« Ma vie n'est pas une sinécure : je ne vis plus, je vivote, je survis, la vraie vie est derrière moi, elle n'existe plus ».

Il y en a d’autres qui vous tournent le dos, qui oublient volontairement votre existence. La maladie, le handicap dérangent… car ils prennent conscience – sans l'avouer et se l'avouer – que demain ils pourraient en être victimes.

 

Après-midi :

 

Le temps passe, le souffle me manque. Je m'occupe de façon oisive : lecture, courtes siestes pour récupérer et oublier mon destin peu enviable, loisirs créatifs, le tout ponctué par la prise de médicaments (sept différents par jour) sous formes de comprimés et d'aérosols. Bonjour les maux d'estomac !

Je ne sors que lorsqu'il le faut absolument, car marcher m'est devenu pénible : je tousse et je crache au moindre pas, au moindre mouvement. On dirait une vieille locomotive prête à rendre l'âme. Mes pieds étant souvent gonflés par l'emphysème, il m'arrive de sortir en chaussons, (Quel chic! Quelle élégance !) et de me raccrocher à un caddie pour ne pas trébucher au moindre obstacle, comme une petite vieille.

La honte ! Vous appelez cela vivre ? Je pense parfois que la mort serait pour moi un soulagement. J'en arrive même à la souhaiter. Mais brûler dans les feux de l'enfer ? Suffoquer là encore sous l’effet de la chaleur ? Non, ce n’est pas un sort plus enviable ! Alors je me rabats sur les petites « pilules du bonheur » en pensant à ceux et celles qui sont plus mal en point que moi. Nous connaissons tous dans notre entourage une personne atteinte de maladie grave, incurable, ou sous morphine…

 

Soirée :

 

Le bilan quotidien s'impose : encore une journée vide de sens, de vie, d'énergie, de rentabilité, et malgré cela je suis essoufflée comme si j'avais couru un marathon. Le désespoir m'assaille devant cette spirale infernale engendrée par la maladie, insidieusement, sournoisement. Ce constat amer et désabusé est le fruit des mauvais jours !

               

Heureusement qu’il en existe parfois d’autres aussi, et que mon moral n’est pas en berne tous les soirs ! Ce sont ceux où je voyage par le biais de la télévision et découvre grâce à des reportages des pays merveilleux : la Grèce, l’Egypte, l’Amérique latine avec sa forêt amazonienne à la végétation luxuriante, des îles paradisiaques, où ciel bleu et sable chaud sont au rendez-vous ! Alors je me sens transportée dans ces contrées hospitalières et j’en oublie ma galère !

                                                                                                                        

                                                                                                        Esmeralda