LA TRACHEOTOMIE

Pr Philippe Sauder

Professeur des Universités-Praticien Hospitalier

Service de Réanimation Médicale. NHC

Hôpitaux Universitaires de Strasbourg

Président de l’ADIRAL

 

Pendant de très nombreuses années la trachéotomie était l’étape obligatoire pour pouvoir ventiler au long cours un patient insuffisant respiratoire. De nos jours la plupart des patients insuffisants respiratoires chroniques ventilés le sont par de la ventilation non invasive (VNI). Cependant cette phase peut n’être que transitoire et il est parfois nécessaire de recourir secondairement à une ventilation sur trachéotomie lorsque la VNI a montré ses limites.

 

Définition

La trachéotomie est une ouverture à la peau de la trachée, pratiquée de manière chirurgicale, dans la trachée haute sous le larynx, afin d’assurer une perméabilité permanente des voies aériennes et une protection de celles-ci vis à vis de fausses routes.

On distingue :

A gauche : la trachéotomie est une simple ouverture de la trachée qui respecte la partie haute de la trachée et le larynx, qui restent en place. Elle peut être provisoire.

A droite : la trachéostomie est associée à une ablation du larynx (laryngectomie). Elle est définitive.

-          la trachéotomie qui représente une simple ouverture de la trachée à la peau avec le maintien d’une filière perméable entre la bouche et la partie haute de la trachée. Cette trachéotomie peut-être provisoire. Dans ce cas, lorsqu’on enlève la canule, l’orifice a tendance à se rétrécir, puis à se fermer en quelques jours.

-          La trachéostomie qui comporte une ouverture de la trachée à la peau, associée à une fermeture de la filière entre la bouche et la trachée (le plus souvent avec une ablation chirurgicale du larynx ou laryngectomie justifiée par le traitement chirurgical d’un cancer du larynx). Cette trachéostomie est définitive. Elle ne se ferme pas lorsqu’on enlève la canule (puisque l’air inspiré ne peut plus passer par la voie physiologique qui a été fermée).

Anatomie et Physiologie

La trachée (ou trachée-artère) est un conduit rigide (équipé d’anneaux cartilagineux sur les ¾ antérieurs et latéraux de la trachée)

Figure 2 La structure cartilagineuse de la trachée. Les anneaux cartilagineux forment une carapace qui « arment » le conduit sur ses parties antérieures et latérales, mais pas sur la partie postérieure qui est une simple membrane molle et plus fragile qui sépare la trachée de l’œsophage situé juste en arrière. En haut, les cartilages thyroïde et cricoïde protègent le larynx et les cordes vocales. En bas la trachée se divise au niveau de la carène en bronche souche droite et gauche.

 

Elle permet de conduire l’air inspiré (et expiré) de la bouche vers les bronches puis les alvéoles. Elle est surmontée par le carrefour aéro-digestif qui comprend le larynx qui comporte deux éléments fondamentaux :

-          les cordes vocales qui permettent la phonation (Figure 3): ce sont deux membranes situées en haut de la trachée et qui vibrent pendant l’expiration, ce qui permet la phonation.

Figure 3 : les cordes vocales sont deux membranes qui ferment (expiration, à droite) et qui ouvrent (inspiration, à gauche) le haut de la trachée.

Pour que la phonation soit possible, il faut :

  • o   que les cordes vocales soient mobiles (non paralysées)
  • o  

La trachéotomie va, en l’absence de dispositif spécifique, empêcher la phonation car l’air expiré est détourné et passe dans la canule en court-circuitant les cordes vocales (Figure 4).

Figure 4. La trachéotomie court-circuite les voies aériennes supérieures et empêche l’air expiré de traverser les cordes vocales.

 

 

-        l’épiglotte qui est un repli situé derrière la langue et qui assure l’étanchéité des voies aériennes quand on mange. L’épiglotte fait alors clapet et empêche les aliments de passer vers la trachée (Figure 5).

Figure 5. Déglutition. Au cours de la déglutition, l’aliment est accompagné vers l’arrière par la langue. L’épiglotte se plaque sur l’entrée de la trachée (glotte) qu’elle obstrue de manière étanche, empêchant les fausses routes et forçant ainsi l’aliment à passer par le « bon trou » (l’œsophage).

 

 

-   Autre point important :

     Les voies aériennes supérieures ont également pour rôle de « filtrer » (décontamination bactérienne) et d’humidifier l’air inspiré. Le court-circuit des voies aériennes supérieures par une trachéotomie nécessite la mise en place de dispositifs jouant ce rôle de filtration et d’humidification puisque les voies aériennes supérieures sont court-circuitées par la trachéotomie.

Rapports de la trachée.

La trachée traverse successivement le cou puis plonge dans le thorax. Au niveau du cou elle est accompagnée sur ses côtés par les deux artères carotides qui irriguent le cerveau. Dans le cou et la cage thoracique elle est devant l’œsophage (tuyau qui conduit les aliments de la gorge vers l’estomac) et elle n’en est séparée que par une mince membrane (les anneaux cartilagineux ne vont pas sur la face postérieure de la trachée).

 

Indications de la trachéotomie

 

Une trachéotomie peut–être décidée :

-          si la perméabilité des voies aériennes supérieures est altérée et empêche le passage d’air vers la trachée (exemple paralysie des cordes vocales, tumeur du larynx, œdème ou spasme des cordes vocales, etc.). La trachéotomie court-circuite l’obstacle et permet d’acheminer l’air vers la trachée.

-          si des troubles de la déglutition sont responsables de fausses-routes. Il y a alors passage de salive, d’aliments, voire de vomissements dans la trachée et les bronches et risque d’infection du poumon (pneumopathie).

-          Si le patient nécessite une assistance ventilatoire  (ventilation artificielle) au long cours qui ne peut pas être assurée par une ventilation non invasive.

 

La trachéotomie : principes de réalisation

 

Deux types de techniques sont actuellement utilisées :

 

La trachéotomie chirurgicale, telle qu’elle a été développée notamment par Trousseau, au XIXe siècle. C’est une intervention relativement bénigne, réalisée sous anesthésie générale, qui consiste à ouvrir la peau du cou et poursuivre l’incision jusqu’à la trachée qui est ouverte avec un orifice suffisamment grand pour faire passer la canule de trachéotomie (Figure 6).

Figure 6 : Trachéotomie chirurgicale

L’incision cutanée au niveau du cou peut être verticale ou horizontale. En cas d’ablation définitive de la trachéotomie, il restera une cicatrice au niveau du cou.

 

La trachéotomie percutanée, développée dans les services de réanimation. On ponctionne la trachée (sous anesthésie locale) avec une aiguille, comme on ponctionne une veine. Cette aiguille en place laisse passer un guide rigide sur lequel on va introduire, jusque dans la lumière trachéale, des dilatateurs de plus en plus gros (jusqu’au calibre de la canule). Lorsque la dilatation maximale est atteinte, la canule est introduite (Figure 7). Il n’y a pas d’incision cutanée. Lorsqu’on enlève la trachéotomie, la cicatrice est à peine visible.

Figure 7. Trachéotomie percutanée. Après avoir ponctionné la trachée avec une aiguille (en haut à gauce), un guide est introduit dans la trachée (en haut à droite). L’orifice sera alors progressivement dilaté autour du guide métallique (en bas à gauche) jusqu'à être suffisamment grand pour qu’une canule puisse être introduite dans la trachée (en bas à droite).

 

 

Les canules

 

Matériau

Les premières canules étaient en caoutchouc (problèmes de stérilisation) et en argent. Elles sont actuellement en PVC, en polyuréthane, en acrylique, en silicone ou en latex. Un matériau souple équipera plus facilement une trachée déformée. Ces matériaux sont en général bien tolérés, mais certains patients peuvent avoir une allergie au latex par exemple.

Taille

La longueur et la courbure peuvent varier d’une marque à l’autre. Certaines canules sont équipées d’une collerette qui permet de faire varier la longueur de la partie de canule à l’intérieur de la trachée (Tracheoflex®, figure 8). La longueur de la canule se mesure le long de sa courbure supérieure. La canule en place avec les compresses doit rester à distance de la caréna.

Elle doit aussi franchir parfois des zones de rétrécissement ou de trachéomalacie.

La longueur augmente en général avec le diamètre. Elle varie entre 46 mm et 135 mm.

Figure 8. Canule à collerette permettant le réglage de la longueur introduite dans la trachée Ces canules existent avec ballonnet (en haut) ou sans (en bas)...

Le diamètre.

Deux types de diamètre sont définis :

-          le diamètre interne (ID, ou internal diameter, en anglais): c’est lui qui détermine la capacité à faire passer de plus gros débits (et de plus grosses sondes d’aspiration).

-          le diamètre externe caractérise (ED) l’encombrement de la canule et sa capacité à entrer dans la trachée (si celle-ci a un calibre réduit).

A signaler que deux canules de marques différentes ayant le même diamètre interne (ID), peuvent avoir des encombrements externes (ED) très différents. Un même « numéro » de canule ne correspond pas forcément d’une marque à l’autre !

En règle générale, c’est le calibre de la trachée qui va déterminer la taille de la canule. Celle-ci doit passer facilement dans l’orifice, bien remplir le diamètre de la trachée de façon à ne pas avoir à gonfler trop le ballonnet.

 

Canules de trachéotomie en PVC avec ou sans fenêtre, sans balonnet                                                                  

La chemise interne

C’est une deuxième canule à l’intérieur de la première (Figure 9). Tous les types de canule n’en sont pas pourvus. La présence d’une chemise interne facilite le nettoyage, car alors on peut sortir la chemise interne pour la nettoyer tout en laissant la chemise externe en place.

 

Le ballonnet

Il a pour fonction d’assurer l’étanchéité entre la canule et la trachée :

-          en cas de ventilation artificielle, celle-ci pourra être plus efficace puisqu’ il n’ y a pas de fuite,

-          en cas de troubles de la déglutition, le ballonnet arrête les sécrétions qui s’accumulent au dessus, et qui souvent sont éliminées par l’orifice de la trachéotomie (autour de la canule).

Ce ballonnet est gonflé avec une seringue au niveau d’un tuyau muni d’un ballonnet de contrôle de pression.

Il existe des ballonnets standard et à basse pression. Ceux-ci sont préférables car ils compriment moins la muqueuse trachéale lorsque le ballonnet est gonflé. Quel que soit le type de ballonnet une surveillance de la pression du ballonnet est recommandée pour éviter de surgonfler celui-ci.

 

 

La fenêtre                                                                              

Certaine canules sont fenêtrées (fenêtres uniques ou multiples, figure 11). La fenêtre a pour but de laisser fuir l’air expiré vers le haut, c’est à dire les cordes vocales pour permettre la phonation. Ces canules fenêtrées peuvent être équipées d’une chemise interne non fenêtrée qui empêche alors la fuite lorsqu’elle est en place, ce qui permet la ventilation sans fuite. Quand on ventile le sujet, la chemise interne est en place et il n’y a pas de fuite. Lorsqu’on arrête de le ventiler, on enlève la chemise interne non fenêtrée et l’air expiré peut alors fuir à travers les fenêtres de la canule et permettre ainsi la phonation.

La valve de phonation

C’est un dispositif que l’on raccorde à la canule et qui est équipé d‘une valve unidirectionnelle : l’air peut entrer dans la canule mais ne peut pas en sortir par la valve. L’expiration se fait uniquement par les fenêtres de la canule (il faut avoir enlevé la chemise interne) ou autour de la canule (il faut alors avoir dégonflé le ballonnet) et l’air expiré passe entre les cordes vocales ce qui assure la phonation.

 

La phonation chez un malade trachéotomisé (Figure 12)

Inspiration

Expiration

Canule non fenêtrée (à gauche) : l’air inspiré entre par la valve de phonation. L’air expiré ne peut sortir que vers le haut (cordes vocales) si l’espace entre trachée et canule est suffisant et que le ballonnet (s’il existe) est dégonflé.

Canule fenêtrée (à droite) : l’air inspiré entre par la valve de phonation. L’air expiré ne peut sortir que vers le haut (cordes vocales) à travers la fenêtre si elle est ouverte et aussi par l’espace entre trachée et canule s’il est suffisan. Le ballonnet (s’il existe) doit être dégonflé.

 

 

Pour que le malade trachéotomisé puisse parler, il faut :

  1. que ses cordes vocales ne soient pas paralysées,
  2. qu’il soit en ventilation spontanée, donc débranché du respirateur (et non pas sous ventilation artificielle),
  1. que l’air expiré passe entre ses cordes vocales (et non pas par la canule),
  2. que ce débit d’air soit suffisant.

 

Sur le plan pratique, on utilise une valve de phonation qui est raccordée à la canule et qui permet à l’air d’entrer dans la canule, mais pas d’en ressortir. L’air expiré sort alors vers le haut et les cordes vocales :

-          si le ballonnet a été dégonflé*

-          s’il y a assez d’espace entre la trachée et la canule pour permettre un débit d’air expiré suffisant

-          ou, à défaut, si la canule est équipée d’une fenêtre (qu’on aura ouverte) pour que l’air soit expiré vers les cordes vocales et la bouche (et pas par la canule de trachéotomie). Pour « ouvrir la fenêtre », on retire la chemise interne, non fenêtrée, qui était en place lorsque le patient était ventilé. L’air peut alors sortir par cette fenêtre « ouverte ».

-          Pour reventiler le patient, il faudra alors « refermer la fenêtre » en réintroduisant dans la canule une chemise interne non fenêtrée.

 

* Il ne faut jamais mettre une valve de phonation si le ballonnet n’est pas dégonflé ou si la chemise interne n’est pas enlevée !!

 

 

Humidification

Une trachéotomie sans ventilation artificielle peut nécessiter la mise en place d’un nez artificiel (filtre qui retient l’humidité de l’air expiré et la restitue à l’inspiration suivante).

 

 

Critères de choix d’une canule de trachéotomie

Assurer la perméabilité des voies aériennes supérieures sans les léser et permettre le désencombrement.

Permettre une ventilation qui corrige suffisamment les gaz du sang

Respecter la phonation

Répondre aux préoccupations esthétiques du patient (discrétion).

La procédure de choix de canule, adoptée par l’ADIRAL, tient compte du mode ventilatoire décidé (sans fuite ou à fuite).

 

 

Utilisation

L’entretien et le nettoyage des canules de trachéotomie font l’objet de procédures mises en place par les prestataires (ADIRAL) qui vous prennent en charge. S’y référer.

L’aspiration trachéale ne sera pas traitée ici et peut faire l’objet d’une documentation spécifique.

Durée de mise en place : elle est très variable et dépend en particulier de l’existence ou non d’une chemise interne qui facilite le nettoyage. En règle générale la fréquence de changement d’une canule varie autour d’une période de deux semaines.

 

 

 

 

Changement de canule

Tout d’abord il convient de rappeler qu’un orifice de trachéotomie ne se ferme pas en 5 minutes : il faut parfois plusieurs jours. Alors, pas de panique, nous avons tout le temps.

Il est cependant impératif d’avoir préparé à l’avance tout le matériel nécessaire :

-          la nouvelle canule, vérifiée (ballonnet) et complète,

-          la seringue nécessaire à dégonfler le ballonnet (avant de la sortir) et à gonfler le ballonnet de la nouvelle,

-          le matériel d’aspiration,

-          les produits de désinfection de la peau,

-          les compresses,

-          le système de fixation de la canule,

-          le cas échéant, de l’oxygène, un ballon insufflateur ou le respirateur branché et allumé,

-          la désinfection des mains (à domicile un lavage des mains suffit amplement, les gants stériles ne sont pas nécessaires).

 

 

Avantages-Inconvénients de la trachéotomie

 

Avantages

La trachéotomie :

- Facilite la ventilation artificielle sans fuite (grâce au ballonnet),

- Permet parfois une ventilation au long cours plus efficace que la VNI,

- Permet l’aspiration trachéale chez un sujet régulièrement encombré,

- Permet de protéger les voies aériennes en cas de trouble de la déglutition (canule à ballonnet)

 

Inconvénients-Contraintes

La trachéotomie :

- Entraîne une modification souvent difficilement perçue de son intégrité physique,

- Peut rendre la phonation difficile,

- Peut gêner la déglutition,

- Peut entraîner une dysgueusie ou une agueusie (inappétance par modification du goût des aliments),

- Peut assécher les voies aériennes (en l’absence de dispositif adapté),

- Est une porte d’entrée infectieuse (augmentation du risque infectieux),

- Nécessite la réalisation régulière d’aspirations trachéales,

- Peut entraîner des lésions cutanées au niveau de l’orifice.

 

Complications principales (en dehors de la phase post-opératoire).

De nos jours elles sont heureusement assez rares :

- Infection de l’orifice, des voies aériennes (bronchite) du poumon (pneumopathie),

- Hémorragies,

- Sténose (rétrécissement) de la trachée,

- Fistule trachéo-bronchique,

- Asphyxie aiguë par obstruction de la canule.

 

 

En conclusion

La trachéotomie représente une étape évolutive de l’insuffisance respiratoire chronique grave, étape initialement assez mal vécue par le patient. Cependant, à condition d’avoir bien organisé la préparation (information et formation du patient et de son entourage), d’avoir bien organisé les conditions matérielles de ces nouvelles conditions de vie, et à condition d’une acceptation et d’une appropriation du patient et de son entourage de ces nouvelles contraintes, elle peut représenter pour certains patients un tremplin pour mieux affronter une maladie qui retentit gravement sur la qualité de vie.