LA B P C O

 

BRONCHO PNEUMOPATHIE CHRONIQUE OBSTRUCTIVE

 

Emmanuel Weitzenblum,

Service de Pneumologie, Nouvel Hôpital Civil,

CHU de Strasbourg

 

            La BPCO est la bronchopneumopathie chronique obstructive. C’est un terme un peu compliqué, peu connu du grand public, ce qui est regrettable, s’agissant d’une affection fréquente, la plus répandue des maladies respiratoires chroniques après l’asthme qui, lui, est pratiquement connu de tous. Comment expliquer cette méconnaissance de la BPCO ?

 

            La première explication qui vienne à l’esprit est qu’il s’agit d’un terme relativement récent qui a remplacé les expressions « bronchite chronique » et « emphysème » qui, elles, étaient mieux connues, en tout cas en France. Cela étant, la BPCO n’est pas synonyme de bronchite chronique et d’emphysème mais on peut dire, pour simplifier, qu’elle inclut la bronchite chronique, l’emphysème et l’association de ces deux affections qui est loin d’être rare. Elle inclut également des patients qui n’ont pas de signes cliniques de bronchite chronique ni de signes radiologiques d’emphysème. Les médecins généralistes qui ont fait leurs études avant 1985-1990 ne sont pas très familiarisés avec le terme BPCO, ils connaissent surtout la bronchite chronique et on peut comprendre qu’il en aille de même pour leurs patients.

           

            Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni le terme de COPD (chronic obstructive pulmonary disease) équivalent exact de BPCO s’est imposé plus tôt et a été adopté, en particulier par toutes les sociétés scientifiques de Pneumologie. Nous n’avons aujourd’hui plus le choix : nous devons nous habituer à la « BPCO », que nous soyons professionnels de santé ou patients.

 

Définition de la BPCO

 

            Il existe un consensus international pour définir la BPCO comme une maladie chronique caractérisée par une obstruction bronchique non réversible (spontanément ou sous l’effet d’un traitement), ce qui différencie la BPCO de l’asthme où l’obstruction bronchique est typiquement réversible. La mise en évidence de l’obstruction bronchique suppose la réalisation d’explorations fonctionnelles respiratoires (EFR) afin de mesurer en particulier le VEMS (volume expiratoire maximal en 1 seconde) et la Capacité Vitale (volume d’air maximal que l’on est capable d’inspirer ou d’expirer). A titre d’illustration, chez un adulte masculin de 50 ans, mesurant 1m75, la capacité vitale théorique est de l’ordre de 5 litres et le VEMS de l’ordre de 4 litres. Les valeurs théoriques (encore appelées valeurs de référence) sont obtenues à partir de tables qui tiennent compte du sexe, de l’âge et de la taille. Dans l’exemple que nous venons de prendre le rapport VEMS/Capacité Vitale est de 80%. Ce rapport est important car c’est à partir de lui qu’on définit l’obstruction bronchique, nécessaire au diagnostic de BPCO : le rapport VEMS/Capacité Vitale (forcée) doit être inférieur à 70%. Le stade évolutif de la BPCO est déterminé par le rapport entre le VEMS mesuré et le VEMS théorique :

 

-         stade 1 (BPCO peu sévère) : VEMS > 80% de la valeur théorique.

-         Stade 2 (BPCO modérément sévère) : VEMS compris entre 50 et 80% de la valeur théorique.

-         Stade 3 (BPCO sévère) : VEMS compris entre 30 et 50% de la valeur théorique.

-         Stade 4 (BPCO très sévère) : VEMS < 30% de la valeur théorique.

 

            On retiendra que le diagnostic de BPCO repose sur la réalisation d’EFR par un pneumologue ou un laboratoire spécialisé. La mesure du débit expiratoire de pointe avec un « peakflowmeter » (débimètre de pointe) est tout à fait insuffisante et peut d’ailleurs induire en erreur. Les EFR permettent également d’évaluer la gravité de la BPCO, elles doivent donc être pratiquées régulièrement au cours du suivi des patients. Les signes d’appel pouvant orienter vers une BPCO et les indications des EFR seront envisagés plus loin.

 

Quelques notions d’épidémiologie

 

            La BPCO est la plus fréquente des maladies respiratoires chroniques après l’asthme. Elle est une cause importante de morbidité et de mortalité. Elle était la 6ème cause de mortalité aux Etats-Unis en 1990, mais il est prévu qu’elle devienne la 3ème cause (au niveau mondial) à l’horizon 2020. La raison de cette progression est l’augmentation régulière de la prévalence (fréquence) de la BPCO, elle-même liée à l’absence de recul du tabagisme au niveau mondial et au vieillissement de la population (la BPCO est plus fréquente dans les tranches âgées de la population (> 70 ans)).

           

            On estime qu’en France la BPCO est responsable de plus 15.000 décès/an (5ème cause de mortalité en 1997). Elle représente la principale cause d’insuffisance respiratoire chronique (100.000 cas d’insuffisance respiratoire sont liés à la BPCO). Elle est deux fois plus fréquente chez l’homme que chez la femme, mais cette prédominance masculine s’atténue très nettement depuis 30 ans et, en Amérique du Nord, la BPCO est devenue plus fréquente dans le sexe féminin.

           

            On dispose actuellement de données (internationales) sur la prévalence de la BPCO dans la population générale : la BPCO est présente chez 5-10% des adultes de plus de 40 ans. Sa prévalence est donc considérable et elle a tendance, comme nous venons de le voir, à progresser avec le temps. Si on applique ces chiffres à la France on obtient une estimation de 2-3 millions de sujets BPCO, ce qui est tout à fait considérable !

 

            Le tabagisme est la cause prédominante de la BPCO, en tout cas dans les pays développés où l’on estime qu’il explique à lui seul 80% des cas de BPCO. Dans les pays en voie de développement (Afrique, Asie) la combustion de la biomasse (chauffage au charbon de bois, cuisine au charbon de bois) représente une cause de BPCO presque aussi importante que le tabagisme.

 

 

Quand faut-il évoquer le diagnostic de BPCO ?

 

            Le cas le plus typique est celui d’un adulte fumeur qui se plaint d’une dyspnée (synonyme d’essoufflement) survenant par exemple à la marche rapide, qui le gêne et parfois même le handicape. Il consulte son médecin généraliste. Si le bilan cardiologique est négatif (les affections cardiaques sont la principale cause de dyspnée) il faut demander des EFR qui permettront d’affirmer (ou d’exclure) la présence d’une BPCO.

           

            Il existe cependant des tableaux plus trompeurs : la dyspnée peut n’être pas ressentie par l’intéressé(e), la raison en étant souvent qu’elle s’est constituée sur une période assez longue et qu’il a eu le temps de s’y habituer. Ce sujet ne consultera alors que tardivement, à un stade où la BPCO est évoluée avec un retentissement fonctionnel important aux EFR. Ce cas de figure est extrêmement fréquent et les pneumologues le rencontrent quotidiennement.

Il ne faut donc pas hésiter à demander des EFR chez des adultes de plus de 40 ans, s’ils sont fumeurs et, à plus forte raison, s’ils toussent et expectorent souvent. L’expectoration caractéristique de la bronchite chronique est matinale, elle est généralement claire (expectoration dite muqueuse). Les sujets fumeurs qui font régulièrement des bronchites, en particulier à la saison froide, devraient également faire l’objet d’une EFR.

                       

            Rappelons qu’il ne faut pas confondre bronchite chronique et BPCO. La bronchite chronique est un syndrome clinique caractérisé par une toux et une expectoration fréquentes depuis quelques années. Les EFR sont souvent normales. On ne parle de bronchite chronique au stade de la BPCO que lorsque les EFR objectivent la présence d’une obstruction bronchique (voir plus haut). A contrario, la BPCO n’est pas toujours associée à un tableau clinique de bronchite chronique.

 

Comment évolue la BPCO ?

 

            Dans un grand nombre de cas l’arrêt du tabagisme associé au traitement symptomatique (voir plus loin) permet de stabiliser la BPCO et de ralentir son évolution. Les EFR ne reviennent jamais à la normale, mais la stabilisation de la BPCO est un excellent résultat, surtout si elle porte également sur les symptômes ressentis par le patient. Si la dyspnée d’effort est peu importante au moment du diagnostic et de la prise en charge, il y a de fortes chances qu’elle reste modérée pendant de nombreuses années. Mais dans d’autres cas la BPCO peut évoluer de façon défavorable avec aggravation du déficit fonctionnel (EFR) et majoration progressive de la dyspnée, et ceci peut s’observer même en cas d’arrêt du tabagisme et de bonne observance du traitement médicamenteux. Il n’est donc pas possible de prévoir les cas dont l’évolution est péjorative.

           

            Un certain nombre de patients évoluent ainsi vers l’insuffisance respiratoire qui est caractérisée par une dyspnée d’effort importante, handicapante (au moins de grade 3/5 sur une échelle allant de 1 à 5/5), par des perturbations majeures des EFR (stades III et IV de la classification envisagée ci-dessus) mais aussi par l’apparition d’une hypoxémie (chute de la pression partielle en O2 du sang artériel, appelée PaO2), indiquant que les poumons ne sont plus en mesure d’assurer une oxygénation adéquate du sang. La PaO2 normale est de 80-95mmHg. On parle d’hypoxémie lorsque la PaO2 est inférieure à 70mmHg. En-dessous de 55-60mmHg l’hypoxémie est sévère et justifie un traitement adapté (voir plus loin). Dans la BPCO évoluée au stade de l’insuffisance respiratoire, l’hypoxémie s’accompagne souvent d’une élévation de la pression partielle en CO2 du sang artériel (PaCO2) et on parle alors d’hypercapnie (PaCO2 > 45mmHg). L’hypercapnie est considérée comme sévère au-delà de 55mmHg.

           

            Les patients insuffisants respiratoires ont évidemment une espérance de vie limitée par rapport aux patients dont la BPCO est moins sévère, mais il faut souligner que le pronostic de la BPCO, même pour les formes les plus évoluées, a été notablement amélioré par la prise en charge actuelle et les progrès thérapeutiques. Certes, la BPCO est responsable d’environ 15.000 décès annuels en France, ce qui est considérable, mais il faut rapprocher ce chiffre des estimations de 2 millions de cas de BPCO (prévalence de la maladie) dont 100.000 au stade de l’insuffisance respiratoire. La BPCO est une maladie redoutable mais n’est pas obligatoirement, même à un stade avancé, une maladie « mortelle ». Les décès sont d’ailleurs aussi souvent liés à une maladie associée (on parle dans ce cas de comorbidité) telle une affection cardiaque ou un cancer pulmonaire plutôt qu’à l’insuffisance respiratoire résultant de la BPCO.

 

Comment prend-on en charge et comment traite-t-on la BPCO ?

 

            La première étape est un diagnostic précis de BPCO. Nous avons vu qu’il repose sur la réalisation d’EFR et que celles-ci ne peuvent être réalisées que par un pneumologue ou un laboratoire d’EFR, par exemple en milieu hospitalier. Si l’on a un doute sur les résultats ou si les valeurs observées ne sont que discrètement abaissées par rapport à la limite inférieure de la normale, il ne faut pas hésiter à refaire des EFR, après trois mois par exemple. Les EFR permettent de poser le diagnostic de BPCO, mais aussi d’évaluer sa gravité (classification en 4 stades décrite ci-dessus).

 

            La première mesure à envisager si le sujet est fumeur, est un arrêt complet des habitudes tabagiques. L’arrêt du tabagisme donne les meilleurs résultats dans les formes débutantes de BPCO : diminution et parfois disparition de la dyspnée d’effort, arrêt du déclin accéléré du VEMS qui est une des caractéristiques de la BPCO. Le déclin annuel du VEMS, qui est physiologique avec l’âge, redevient celui qu’on observe chez les non-fumeurs. Dans les formes avancées de BPCO le gain sur le plan clinique et fonctionnel est moins important mais il n’est pas négligeable chez certains patients : il s’agit plutôt d’un freinage de l’évolution que d’une réversibilité de la maladie, laquelle n’est jamais observée dans les formes sévères de BPCO.

 

            L’arrêt total du tabagisme est souvent difficile à obtenir. Le patient doit faire preuve de persévérance. Il peut être utile de l’orienter vers une consultation spécialisée dans l’aide au sevrage tabagique. Il existe des possibilités d’aide médicamenteuse ; les substituts nicotiniques donnent parfois de bons résultats, mais il est clair que la volonté du patient est le meilleur garant de la réussite.

 

            Le traitement médicamenteux de la BPCO est représenté essentiellement par les bronchodilatateurs, c’est à dire des molécules capables d’augmenter le calibre bronchique. L’une des plus anciennes est la Ventoline, bien connue des patients BPCO et surtout des asthmatiques. Elle agit rapidement mais sa durée d’action est brève. Le traitement au long cours de la BPCO repose aujourd’hui sur des bronchodilatateurs de longue durée d’action (de 6H à 24H). On leur associe parfois, surtout lors des exacerbations aiguës de la BPCO, des corticoïdes. Le traitement médicamenteux a pour but de dilater les bronches et d’améliorer les symptômes (dyspnée), mais il n’a pas d’influence, du moins pour les molécules actuellement disponibles, sur le cours proprement dit de la maladie.

            La réhabilitation respiratoire devrait être proposée à tous les patients BPCO. C’est un ensemble de mesures destinées à réduire le handicap et à améliorer la qualité de vie. La mieux connue est le re-entraînement à l’exercice, mais la réhabilitation comporte également la prise en charge nutritionnelle et psychosociale, l’éducation thérapeutique, la kinésithérapie respiratoire, et, bien entendu, l’aide au sevrage tabagique. L’une des difficultés rencontrées en pratique est le nombre insuffisant de centres capables d’assurer le re-entraînement à l’exercice (le plus souvent sur bicycle ergométrique, parfois sur tapis roulant). Il est démontré que la réhabilitation respiratoire améliore la dyspnée d’effort et permet d’augmenter le périmètre de marche. Elle nécessite une équipe transdisciplinaire (physiologistes ou pneumologues pratiquant les tests d’effort, kinésithérapeutes, psychologues, spécialistes du sevrage tabagique etc.).

 

            Lorsque la BPCO a atteint le stade de l’insuffisance respiratoire avec hypoxémie importante, on propose aux patients une oxygénothérapie de longue durée (OLD) à domicile. Ce traitement est justifié lorsque la PaO2 est inférieure à 55-60mmHg à distance d’une exacerbation (l’exacerbation est une aggravation aiguë de l’état respiratoire généralement favorisée par une infection bronchopulmonaire). L’OLD est un traitement contraignant qui a des répercussions sur le mode de vie mais qui reste compatible avec une bonne qualité de vie. Le traitement doit être pris pendant au moins 16H/24H, incluant les heures de sommeil. L’oxygène est délivré soit par des concentrateurs (appelés également extracteurs) qui séparent l’oxygène de l’azote et fonctionnent par branchement sur le secteur électrique, soit sous forme d’oxygène liquide (cuves d’oxygène liquide réapprovisionnées de façon hebdomadaire par le prestataire). La délivrance d’oxygène au cours de la marche et des activités de la vie quotidienne est possible (et encouragée !) à l’aide de « bouteilles » d’oxygène gazeux ou liquide. L’OLD a connu un développement considérable au cours des dernières décennies. On estime que 100.000 patients BPCO au stade de l’insuffisance respiratoire bénéficient (en France) de l’OLD. Il est démontré, depuis 30 ans, que l’OLD améliore significativement l’espérance de vie des patients BPCO très hypoxémiques. Elle a également des effets favorables sur la qualité de vie et la fréquence des hospitalisations. Certains patients BPCO très hypercapniques (PaCO2 > 55mmHg) et présentant des exacerbations fréquentes se voient proposer, en plus de l’OLD, une ventilation mécanique nocturne dite ventilation non invasive (VNI). L’association d’OLD et de VNI nocturne ne concerne évidemment qu’une minorité de malades BPCO, à savoir les plus sévères.

 

            On voit donc que les possibilités thérapeutiques sont loin d’être négligeables, qu’il s’agisse des formes peu sévères (stades I-II), sévères (stade III) ou très sévères (stade IV) de la BPCO. Le traitement ne guérit pas la BPCO mais il permet de stabiliser son évolution, d’améliorer souvent les symptômes (dyspnée) et la qualité de vie, et de rendre plus rares les exacerbations. Le meilleur « traitement » de la BPCO est la prévention (qui est en fait différente d’un traitement proprement dit) : prévention du tabagisme (prévention dite primaire), lutte contre le tabagisme s’il est déjà installé. Nous avons vu que la combustion de la biomasse représente dans les pays en voie de développement une cause de BPCO aussi importante que le tabagisme et les mesures préventives doivent aborder également ce problème majeur.

 

            La BPCO a malheureusement un avenir encore « florissant » …. En attendant des thérapeutiques plus actives, un déclin effectif du tabagisme et des mesures préventives concernant le chauffage et la cuisine au charbon de bois.